Notre Dame des Landes, le récit du procès du 28 août

Le 28 août à Saint-Nazaire comparaissaient à Sylvain Fresneau (photo) et Clément, deux manifestants contre le projet d’aéroport de Notre Dame des Landes. Le 21 juin, avec des centaines d’autres citoyens, ils avaient demandé le report de l’enquête publique. Cette journée avait donné lieu à une violente répression policière. Récit de l’audience.

Geneviève Coiffard-Grosdoy - 30 août 2012

"La politique ne pénétrera pas dans ce prétoire"

Ambiance des grands jours, cet après midi 28 août à St-Nazaire, pour le procès de Clément et de Sylvain Fresneau.

Le tribunal de St-Nazaire et ses abords sont maintenant archi-connus des opposants au projet d’aéroport de Notre Dame des Landes (qui s’étend sur plusieurs communes, les audiences ont lieu, selon les cas, à Nantes ou St-Nazaire...)

Les abords, parlons-en précisément : cent cinquante tracteurs se sont artistement tassés autour du tribunal (jolie preuve face à ceux qui en doutent qu’ils sont manœuvrés par des paysans qui les maîtrisent), leur arrivée a eu fière allure, ils sont maintenant entourés d’au moins un millier de manifestants.

Se sont mobilisés la Confédération paysanne (Christian Roqueirol, porte-parole de la Confédération Paysanne du Larzac, Dominique Lebreton pour la Confédération 44), la Coordination rurale, bien sûr, des syndicats interprofessionnels (dont Solidaires avec Annick Coupé). Des politiques, élus locaux, régionaux et nationaux ou européens : Europe Ecologie les verts (Jean Philippe Magnen, François Dufour, José Bové, Yannick Jadot...), PS, ou responsables de partis (Martine Billard co-présidente du PG), très nombreux élus locaux de diverses appartenances... Musique, danses, sandwiches et boissons...

Les faits reprochés à Clément et Sylvain Fresneau concernent la manifestation du 21 juin devant la mairie de Notre dame des Landes, lors de l’ouverture de l’enquête publique concernant l’application de la loi sur l’eau (le projet concerne des zones humides à 98 %).

Clément est accusé de violence (la victime – 1 jour d’ITT, interruption temporaire de travail - n’est pas là !). Dans le cadre d’une enquête préliminaire, il y a eu accord verbal du ministère public à un OPJ (officier de police judiciaire) le 3 juillet pour une comparution (avec éventuellement contrainte par corps), car il a été reconnu sur une photo où il apparaît masqué (une seule photo a été proposée au policier ’victime’ pour l’identification).

Mais Clément est connu des RG, qui possèdent pour chaque opposant, depuis le temps que dure la lutte, des centaines de photos et de videos. Clément a été arrêté le 21 juillet (il aurait pu être simplement convoqué...) Il a refusé le prélèvement ADN, (ce qui est constitutif d’infraction). Clément revendique sa présence à la manifestation, mais nie voir été au contact des ’forces de l’ordre’.

La plaidoirie de l’avocat est assez technique : sur le bien fondé de l’interpellation hors flagrant délit, sur l’absence de pièces légales (ordre écrit pour la comparution, deux PV), sur le fait que le refus d’ADN ne doit pas être sanctionné puisqu’il n’aurait jamais dû être sollicité en ces circonstances, sur l’évolution de la législation et des techniques des prélèvements ADN. Mais il souligne aussi que face à une action politique est inventée une infraction politique, que l’accusateur a toujours raison et l’accusé est forcément un menteur...

Clément revendique son attitude pendant sa garde à vue : "Les gendarmes me traitaient de parasite, de crasseux, c’est pour çà que je me suis tu, et que je ne voulais rien donner de moi-même". Il dénonce l’acharnement judiciaire, et affirme que ’pendant la garde à vue, l’un des gendarmes lui a dit que son accusateur a subi des pressions’.

Madame la procureure affirme ne pas faire de politique. Pour elle, le débat sur les prélèvements ADN et les fichiers a eu lieu au Parlement. Les faits sont parfaitement établis, la ’victime’ parfaitement fiable, et les conditions du prélèvement parfaitement légales...

Réquisitoire : 2 mois avec sursis pour violences, 2 mois avec sursis pour refus de prélèvement ADN, rendu le 11 septembre à 14 heures...

Sylvain Fresneau, quant à lui, est accusé de rébellion (refus d’obtempérer aux sommations) et agression des forces de l’ordre avec arme (son tracteur) : la ’victime’ (ni certifical médical pour blessures, ni ITT) n’est pas là.

Calme, précis, déterminé, Sylvain se présente en tant que paysan depuis 30 ans, militant, actuel président de l’Adeca (association des exploitants agricoles) après son père. Il explique les circonstances de la manifestation, et les faits : il a reculé sur une centaine de mètres avec le tracteur et sa remorque, en direction des forces de l’ordre, en seconde lente (son tracteur a six vitesses). Il explique avoir voulu protéger les manifestants en interposant son matériel.

Il a organisé (ou co-organisé) des dizaines de manifestations non violentes contre ce projet de l’aéroport de Notre Dame des Landes. Il veut protéger les terres agricoles menacées, et le jour de la manifestation, il voulait s’opposer au début de l’enquête exigée par la loi sur l’eau. Son tracteur (confisqué presque un mois) est un outil de travail, qu’il maîtrise parfaitement, c’est aussi un symbole dans le monde paysan, ce n’est pas une arme. Il affirme que s’il avait voulu attaquer, il y serait allé de face, en marche avant, et avec des engins plus adaptés qu’une remorque. Les paysans en disposent...

Yeux écarquillés pendant la projection d’une vidéo filmée du toit de la mairie, projection demandée par la défense, nous recherchons vainement une fois des plus les preuves visuelles du frémissement des prémisses du début de la dangereuse agression réalisée par la manœuvre de Sylvain.

Premier témoin, M. François Bugel. salarié de CUMA, blessé à la tête pendant la manifestation (cinq points de suture), revient sur les faits : il n’a entendu qu’une sommation, mais il a vu la violence policière, vu les flics fracturer la vitre arrière du tracteur de Sylvain, le gazer à l’intérieur de la cabine, gazer les autres manifestants : les violences sont venues des forces de l’ordre, elles n’avaient jamais atteint ce niveau.

Les quatre témoins suivants ont des interventions très politiques.

M. Dominique Michenot, ancien agriculteur, élu PS de la communauté de communes Erdre et Gesvre, membre du CéDPa (Collectif d’élus qui doute de la pertinence du projet d’aéroport) explique les raisons de la manifestation : une enquête publique de cette importance allait durer seulement quatre semaines et demi, jusqu’au 27 juillet, pendant les vacances, et les communes auraient ensuite deux semaines pour donner un avis (donc avant le 9 août, à une période où il n’y a pas de conseil municipal (l’absence d’avis valant accord). Il s’agissait par cette manifestation d’obtenir l’allongement et le report de l’enquête. D’ailleurs, après l’interpellation de Sylvain, le prolongement de l’enquête de quinze jours a été accordé par les commissaires enquêteurs, qui par contre n’ont pas de pouvoir sur le report de sa tenue.

Christophe Dougé (conseiller régional EELV, vice-président de la Commission locale de l’eau et de la Commission eau du Conseil Régional, explique l’exigence légale, pour les zones humides, en cas de destruction, de compensation en surface de 1 pour 1, ou même 2 pour 1 en ce qui concerne certaines surfaces. Vinci et l’Etat tentent de contourner ces obligations légales de compensations, organisent le déshabillage de la loi sur l’eau.

Martine Billard (co-président du Parti de Gauche) salue l’engagement de citoyens motivés, au-delà de leur intérêt personnel, par l’intérêt général, la lutte contre le réchauffement climatique et la sauvegarde de la planète ; elle exige le respect des citoyens dans les enquêtes publiques, dénonce les intimidations et la répression de ceux qui mènent des luttes. Elle rappelle la lute gagnante menée dans les années

François Dufour, agriculteur, vice président du Conseil Régional de Normandie Europe Ecologie -Les Verts, dénonce la dramatique perte des surfaces agricoles et l’hécatombe des paysans (baisse de 83 % du nombre d’actifs agricoles depuis 1950). Les agriculteurs résistent, par exemple au projet de ligne électrique THT en Normandie (des représentants se sont déplacés), ligne liée au projet d’EPR , un parmi d’autres grands projets inutiles.

Pendant l’audience, des réactions (murmures, rires, applaudissements...) de la salle entraînent un rappel du président, sans que ce dernier fasse évacuer la salle ; est-ce à cause de la mobilisation extérieure (nous entendons les discours, les chants, les slogans - ’on ne lâche rien’) ?

Madame la Procureure, superbe, balayant les témoignages, déclare avec grandiloquence que la politique ne doit pas passer les portes de ce tribunal, que seules les infractions comptent, et qu’en droit pénal les intentions ou les mobiles ne comptent pas.

Madame la Procureure a de l’humour : ’Vous vouliez protéger les manifestants ? Vous étiez en charge du maintien de l’ordre ?’ Madame la procureure n’est pas sourde, elle entend même de très loin : elle affirme que les sommations ont bien été prononcées (cette histoire de sommations, qui doivent légalement se dérouler selon une procédure stricte, et qui a occupé beaucoup de temps, nous plonge dans un grande perplexité : les sommations ont-elles été faites valablement aux vaches gazées dans leur champ le 6 juin 2011 ? Devaient elles (les vaches) comparaître pour rébellion ? Combien de ’sourds-dingues’ dans nos manifs qui n’entendent rien des ’sommations’ ?)

Madame la Procureure voit clair : mieux que Madame Soleil, elle voit qu’’évidemment [Sylvain] a agressé,... qu’il voulait forcer le barrage pour permettre le passage des manifestants, que le tracteur a été une arme par destination... que la protection des manifestants est une fable réécrite après coup’.

Elle voit que Sylvain a fait amener le tracteur par son fils ’dans l’intention de s’en servir’, elle voit que le policier ’a eu la trouille de sa vie’ alors que selon ses propres propos, seule doit compter la matérialité des faits !

Réquisitions :

80 jours-amendes à 10€ par jour.

Interdiction de manifester pendant un an sur le territoire de Notre Dame des Landes

Interdiction de port d’armes : un an

Interdiction d’usage d’armes : un an (le tracteur, promu ’arme’ le temps de cette affaire, n’est pas concerné par cette interdiction d’usage).

Rendu le 11 septembre à 14h.

Une vague d’incrédulité parcourt la salle...

(Pour apprécier les deux dernières peines requises, il faut savoir que Sylvain est chasseur, ce qui est bien sûr connu des forces de l’ordre et de Madame la Procureure).

Maître Erwan Le Moigne bondit. Dans une vigoureuse plaidoirie, notre avocat exprime ce que nous ressentons tous : oui la politique est entrée dans ce tribunal, oui l’interdiction requise de manifester est politique.

Il n’y a pas eu agression !

L’objet réel des sommations, c’est de permettre et de justifier ensuite l’action des forces de l’ordre...

Sans sommations correctes, pas de délit d’attroupement ! (Il faut dire qu’alors que, parmi les militants présents à l’audience, nombreux étaient à Notre Dame le 21 Juin, et n’ont pas obtempéré à la ou aux sommations, Sylvain, dans sa perversion diabolique, a réussi l’exploit inédit de s’attrouper tout seul, puisque seul poursuivi !)

L’Annonce des réquisitions est faite à l’extérieur.

José Bové déplore que tant de temps et d’énergie ne soient pas mieux utilisés, sur des dossiers financiers par exemple.

Dans un discours de combat, Julien Durand, paysan retraité, membre de la Confédération Paysanne et porte parole de l’Acipa, après remerciements à tous ceux qui se sont mobilisés en soutien aux deux inculpés, réaffirme que la montée de la répression, la multiplication des mises en examen ne nous arrêteront pas, que nous reviendrons autant que nécessaire devant ce tribunal,

Nous y camperons s’il le faut !

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