Jersey, cible des opposants aux paradis fiscaux

12/03/2009 20:30

Jersey, cible des opposants aux paradis fiscaux

Une vingtaine d’ONG manifestent vendredi 13 mars dans l’île anglo-normande pour alerter la population sur les conséquences des centres offshore

Le ronron ininterrompu des grosses cylindrées arpentant le coquet centre-ville de Jersey se mêlera vendredi 13 mars après-midi aux pas décidés et aux voix de dizaines de militants d’ONG (Oxfam International, Tax Justice Network, Christian Aid, CCFD, Attac, etc.) et d’opposants locaux. Alors que les ministres des finances du G20 se réunissent en Grande-Bretagne, pour tenter de renforcer la régulation du système financier international, ces associations ont organisé un « tour de la finance offshore » dans cette dépendance de la Couronne britannique, à mi-distance des côtes françaises et anglaises, qui abritait 492 milliards de dollars (384 milliards d’euros) d’actifs de non-résidents, fin 2006, selon un centre américain de recherche sur l’impôt.

La promenade de vendredi après-midi passera par la britannique Barclays, l’américaine Citibank, l’irlandaise Allied Irish Bank, les françaises BNP et SG Private Banking (Société générale), l’allemande Deutsche Bank ou encore la suisse UBS. Devant chaque établissement, un spécialiste d’une ONG détaillera les activités supposées de ces enseignes à Jersey et les éventuelles compromissions dans des affaires de détournement de fonds ou d’évasion fiscale, à l’image des milliards de dollars déposés par l’ancien dictateur nigérian Sani Abacha – rapatriés depuis.

La visite se prolongera par des arrêts devant de grands cabinets d’affaires, comme Pricewater houseCoopers, spécialités dans le montage de trusts, ces sociétés qui se contentent d’un prête-nom, souvent celui du conseiller fiscal. C’est ainsi que l’identité du client demeure secrète. « Jersey permet aussi la redomiciliation des entreprises, qui autorise une société domiciliée à Jersey à réapparaître dans un autre paradis fiscal et à poursuivre ainsi ses activités à l’abri des procureurs », note John Christensen, ancien conseiller économique de l’État de Jersey, aujourd’hui à la tête de Tax Justice Network.

"Tout le monde doit demander un système plus transparent"
Cette ONG a remis cette semaine un document détaillé au premier ministre Gordon Brown, pour améliorer la transparence du système financier, notamment en incluant dans les normes comptables IASB une obligation pour les multinationales de déclarer, pays par pays (et non globalement), leurs revenus, leurs salariés et le montant des impôts payés. L’élection de Barack Obama, qui entend faire voter une loi contre les paradis fiscaux, ainsi que les déclarations des gouvernements français, allemands et anglais, lui donnent de l’espoir. « Tout dépendra de jusqu’où va la crise. Mais le système est cassé. Tout le monde doit demander un système plus transparent. »

« Notre réseau travaille autour de l’impact de l’évasion fiscale sur les pays en développement. Les paradis fiscaux vident ces pays de leurs ressources, qu’ils organisent des détournements de fonds au profit des élites ou qu’ils permettent aux multinationales de ne pas payer l’impôt qu’ils doivent dans ces pays, pointe le réseau Eurodad, spécialiste de la dette et du développement. Sur les 1 000 milliards de dollars (780 milliards d’euros) qui s’échappent des pays en développement de manière illicite, 60 % proviennent de l’évasion fiscale des sociétés internationales. »

"Les habitants sont les premières victimes de ce système"
« Jersey a été le premier producteur de bananes et de café d’Europe, car les multinationales comme Kraft y étaient domiciliées », renchérit Jacques Harel, militant d’Attac Saint-Malo. Ce professeur de littérature anglaise avait participé à une première manifestation en 2001. « Près de 300 personnes avaient défilé dans les rues, rappelle-t-il, avec des ballons et un requin géant. Cela a permis de libérer la parole, car les habitants sont les premières victimes de ce système. Les prix ont énormément augmenté et beaucoup doivent quitter l’île pour trouver du travail. » Hier soir, un débat public était organisé pour sensibiliser les habitants au sujet et montrer aux grands pays l’importance de la coalition d’ONG qui s’est formée pour que les paroles se transforment en actes.

Jersey, qui a signé plusieurs accords internationaux, est certes sorti de la liste noire des paradis fiscaux de l’OCDE. Après le Royaume-Uni, la France devrait signer avec elle un accord de coopération et d’échange d’informations. Mais aucune des ONG présentes ne croit à leur efficacité. « Ce sont des accords a minima, pointe Jacques Harel. Quand une autorité demande une enquête sur un service financier, l’État de Jersey garde la haute main sur la réponse. Il ne communique les informations que quand il n’a plus le choix. Les États-Unis ont signé un accord de la sorte récemment et très peu de dossiers ont abouti. »
Aude CARASCO, à Jersey

Voir en ligne : La Croix

AgendaTous les événements