Uni-es face à l’Agro-Industrie

, par Alain

Après les actions menées lors de la mobilisation « Fin de carrières 44 » par différents collectifs locaux de défense de l’environnement et par les Soulèvements de la Terre, il semble important de recontextualiser les entreprises visées par les actions de sabotage, et notamment le modèle de celles de la Fédération des Maraîchers Nantais : ce ne sont pas de simples maraîchers qui ont été visés, mais de grands groupes industriels aux pratiques destructrices.

La fuite en avant du maraîchage industriel du bassin de la Loire

Contrairement à ce que l’on pourrait penser avec les campagnes de communication des grandes coopératives et grandes enseignes agricoles – notamment avec le développement de labels peu contraignants tels que « Haute Valeur Environnementale » ou « Sans résidus de pesticides » - le maraîchage industriel dans le bassin de la Loire est toujours en plein essor.

L’exemple de la mâche nantaise permet de bien prendre la mesure de la fuite en avant toujours en cours dans ce secteur. Légume historique des bords de Loire, sa production s’est fortement industrialisée, passant d’environ 3 000 tonnes par an dans les années 80 à 40 000 tonnes en 2020 [1] (30 à 35 000 selon d’autres sources) ; soit plus de 80 % de la production française de mâche, et 50 % de la production européenne.

Pour atteindre ces chiffres records, la filière s’est fortement structurée autour de grandes coopératives (comme Océane, Val Nantais, Groupe Marais), et a mécanisé tout ce qui pouvait l’être : de la préparation des bandes de culture surélevées au nettoyage dans des bains à bulles et à l’ensachage sous plastique, en passant par les divers traitements phytosanitaires. Ce mode de culture demande beaucoup d’énergie (pour chauffer les abris), de sable (jusqu’à 40 tonnes par hectare de terre cultivée) [2], de produits phytosanitaires (pour rendre stériles les sols), de plastiques (pour l’ensachage et les tunnels nantais) et d’eau (qui s’infiltre trop rapidement).

S’y ajoutent des conditions de travail déplorables pour la main d’œuvre saisonnière, le blanchiment (en été) et le déblanchiment (à l’automne) des serres horticoles qui occasionnent entre autres la pollution des milieux et la mort de nombreux organismes aquatiques [3].

Comme leurs instances de communication se plaisent à le crier sur tous les toits, la filière rencontre de nombreuses difficultés [4] : le coût de tous les intrants est en forte augmentation, et les mesures environnementales et de santé publique comme l’interdiction récente du métam-sodium [5] - suite à l’intoxication de plus de 70 personnes en 2018 - les empêchent de produire autant qu’ils le souhaiteraient et de maintenir leur niveau de rentabilité et de compétitivité à l’échelle européenne.

Les solutions retenues sont simples : plus de métam-sodium ? Le metobromuron (classé cancérigène par l’ANSES [6]) est toujours disponible (même en label HVE), tout comme le dazomet ou le napropamide [7]. Plus assez de production ? De nombreux agriculteurs partant à la retraite, il est possible de convertir des centaines d’hectares de terres agricoles vers ce modèle délétère. Il n’y a donc aucune remise en question de leurs pratiques d’un autre âge.

L’impuissance des élus et des citoyens

Cet accaparement se fait aujourd’hui au détriment du bien commun, et personne ne semble pouvoir y mettre un terme. Les paysages sont défigurés par des hectares de serres et de « tunnels nantais », des zones humides remblayées [8], des haies arrachées, les eaux polluées, et les sanctions sont bien souvent trop faibles - lorsqu’elles ont lieu - pour dissuader les industriels de persévérer dans ces pratiques.

Ni les élus ni même la Safer (Société d’aménagement foncier et d’établissement rural, sous la tutelle des ministères de l’Agriculture et des Finances, et pourtant très accommodante avec ces acteurs) n’ont leur mot à dire lorsque des centaines d’hectares passent de la main d’un agriculteur dans celles de ces grands groupes [9], grâce aux montages très simples que permettent les SCEA (Société Civile d’Exploitation Agricole, qui permet à une société de rentrer comme gérante ou associée de l’entreprise sans passer par un arbitrage) [10].

Avec les connaissances que nous avons aujourd’hui sur la raréfaction des ressources, le changement climatique, l’effondrement de la biodiversité, nous connaissons les pratiques d’avenir qui devraient être mises en avant, et qui sont portées notamment par la Confédération Paysanne [11]. Le maraîchage industriel nantais est un poison pour les consommateurs, les habitants et l’environnement, pour le seul profit de quelques-uns.

Il est évident que les agriculteurs qui sont entrés dans ce modèle ne peuvent seuls changer leurs pratiques : cette impasse de la mécanisation ultra-spécialisée n’est pas nouvelle.

Leurs instances de communication, très performantes pour protéger leur « filière d’excellence » contre les mesures environnementales qui peinent à se mettre en place, auraient tout intérêt à mettre leur énergie dans un revirement total de stratégie pour le bien de tous, et avant que leur modèle ne s’effondre de lui-même.

Tant que les citoyens, les élus et les associations environnementales ne seront pas entendus, tant que la justice sera défaillante pour faire respecter les lois et que des politiques ambitieuses ne sont pas mises en place, tous les modes d’action (n’entrainant pas de violence envers les personnes) pour faire la lumière sur ces pratiques et mettre un grain de sable dans cet engrenage destructeur doivent être soutenues. Les paysan.nes ont les solutions, pas l’agro-industrie.

Communiqué des paysans paysannes citoyen·nes mobilisé·es le 11 juin 2023

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