SEM à opération unique : Attac 44 interpelle les député-e-s du département

Le Sénat a adopté, en 1ère lecture le 11décembre 2013, la proposition de loi « Sociétés d’Économie Mixte à opération unique » qui va donc être examinée prochainement par le Parlement. Cette proposition de loi avait été déposée par 2 sénateurs UDI (Jean Léonce Dupont et Hervé Marseille).
Présentée comme une alternative au contrat de partenariat (PPP), la SEM à opération unique, est surtout un nouvel outil mis à la disposition des grandes entreprises dont les intérêts économiques, et la marge bénéficiaire, sont inversement proportionnels aux besoins de maîtrise de la dépense publique.

Ci dessous le courrier adressé par attac 44 aux député-e-s du département ce mercredi 30 avril.

Objet : Les risques liés à la SEM à opération unique

Madame La Député, Monsieur Le Député

Nous souhaitons vous alerter sur les risques présentés par la proposition de loi, adoptée par le Sénat le 11 décembre 2013, permettant la création d’un nouvel outil de la commande publique destiné aux collectivités territoriales, la Société d’Économie Mixte à opération unique, sur laquelle vous aurez à vous prononcer lundi 5 mai.

« Les contrats de partenariat ont démontré leurs limites » indiquait le rapporteur, M Jacques Mézard, lors de l’examen en Commission des lois du Sénat. « Dans un contexte de raréfaction de la ressource budgétaire, les élus locaux souhaitent une optimisation du fonctionnement des services publics locaux, notamment en se réappropriant leur gouvernance, tout en bénéficiant du savoir-faire du secteur privé » précisait-il.

Des scandales récents ( Hôpital Sud Francilien, Ecomouv’, Paris VII-Diderot …) ont effectivement mis en évidence les limites de ces contrats (surcoût de 30% par rapport à une MOP lié aux frais de procédures, au coût plus élevé des emprunts, à une rémunération des actionnaires de 12 à 14%, opacité entraînant la perte du contrôle citoyen, mise à l’écart des PME et artisans locaux, dans le meilleur des cas relégués au rôle de sous-traitants).

Mais la proposition qui va être soumise au vote permet-elle de mettre fin à ces dérives qui révèlent la relative inefficience du secteur privé, et sont désastreuses pour les budgets publics ?

Nous souhaitons vous montrer que, présentée comme une alternative au contrat de partenariat (PPP), la SEM à opération unique est surtout un nouvel outil mis à la disposition des grandes entreprises dont les intérêts économiques, et la marge bénéficiaire, sont inversement proportionnels aux besoins de maîtrise de la dépense publique. Et vous alerter sur les risques présentés par cette nouvelle SEM, tant pour la qualité du service public que pour les budgets des collectivités territoriales.

Une réappropriation très limitée de la gouvernance des services publics locaux

A des élus confrontés à la baisse des dotations étatiques, un accès difficile à l’emprunt bancaire et au démantèlement des services techniques locaux, la SEM à opération unique, société hybride, peut apparaître comme un moindre mal qui apporte des ressources financières et techniques en donnant l’illusion de garder un pouvoir décisionnaire. Mais le rapport de force risque d’être fortement déséquilibré dans cette SEM qui, bien que la proposition de loi ne se réfère jamais au PPP étant donné sa sulfureuse réputation, est bel et bien un partenariat public privé, un PPP institutionnalisé au sens de la réglementation communautaire !

Tout d’abord, la SEM à opération unique est une SA, société anonyme composée d’au moins 2 actionnaires : une collectivité territoriale et un partenaire privé dit « opérateur économique ». La grande nouveauté par rapport à la SEM classique c’est que la collectivité territoriale peut être minoritaire au capital, ne détenir qu’une minorité de blocage (34%) . Certes, c’est un représentant de cette collectivité qui sera président du CA, mais quel pouvoir décisionnaire aura-t-il face à un actionnaire opérateur détenant les 66% restants et recherchant une rémunération maximum du capital investi ?

Quel poids aura la collectivité locale minoritaire sur les choix de politique tarifaire, les choix des publics à cibler etc.? Le document de préfiguration sera-t-il suffisant pour permettre à l’entité publique de garantir un réel service public aux usagers ?

Une Société Anonyme peut-elle fonctionner avec des actionnaires ayant des intérêts fondamentaux divergents ?

Autant de questions sur lesquelles la proposition de loi n’apporte pas de réponses.

Par ailleurs, elle sera constituée pour permettre à la collectivité territoriale actionnaire de conclure un contrat global par lequel elle confiera, en un seul marché, conception, financement, construction, entretien, maintenance et gestion d’un équipement public ou d’un service public à un opérateur privé pour une durée très longue (20 à 50 ans). L’entité publique sera donc enfermée dans le carcan d’un contrat global de longue durée !

Un outil dédié aux grands groupes, qui édulcore les règles de la concurrence et de la commande publique.

L’organisation d’une seule procédure de mise en concurrence pour la sélection de l’opérateur économique est présentée comme une simplification innovante. C’est plutôt, selon nous, une nouvelle remise en cause des principes de la commande publique. D’une part parce que la mise en concurrence ne s’exercera pas sur la qualité de prestation mais clairement sur les ressources financières de l’actionnaire privé, dans la mesure où seuls des opérateurs spécialisés, disposant de capacités opérationnelles, techniques et financières de hauts niveaux pourront être candidats. D’autre part, parce que l’opérateur économique sélectionné deviendra de facto le maître d’œuvre de la mission globale ! De ce fait, les PME, artisans et architectes locaux se trouveront donc écartés de la commande publique ou relégués au rôle de sous-traitants.

Pas de contrôle de l’opportunité et un contrôle des coûts problématique : un risque de recul par rapport au contrat de partenariat !

Le contrat de partenariat, contrat dérogatoire au droit commun de la commande publique fait l’objet d’une procédure d’exception strictement encadrée par le Conseil Constitutionnel. La décision d’y recourir doit être justifiée par un critère d’éligibilité -urgence, complexité ou efficience économique- au terme d’une étude préalable comparant réalisation en maîtrise d’ouvrage publique ou en contrat de partenariat . Nous avons dénoncé l’insuffisance de ces études préalables, biaisées par la prise en compte de calculs de coûts risqués arbitraires. Mais pour la SEM à opération unique, ce garde-fou disparaît et il n’est plus besoin de critères d’éligibilité ! Comment, dès lors, ne pas craindre des recours non justifiés à la SEMOP et des dérives de coûts encore supérieures à celles constatées avec le contrat de partenariat ?

D’autant que la proposition de loi n’apporte aucune garantie quant à la transparence de l’information. Le citoyen aura-t-il les moyens d’exercer un véritable contrôle de l’utilisation des deniers publics grâce à un accès aux données financières : entre autres, les montages financiers mis en place par l’ « opérateur économique », la rémunération des actionnaires, les clauses de partage des risques ? Les données juridico-financières vont-elles continuer à être protégées par le secret industriel et commercial comme elles le sont pour le PPP ?

Enfin, cette nouvelle structure ne va-t-elle pas permettre de masquer l’endettement de la collectivité territoriale ?

Si le coût prévisionnel global de l’opération est connu puisqu’il doit figurer dans les documents annuels, est-il normal que les engagements à payer soient comptabilisés, non au bilan comme dette, mais comme dépenses de fonctionnement ? Un excellent moyen de produire de la « dette cachée » et donc la porte ouverte à toutes les dérives ! La Cour des comptes et les rapports de L’IGF sur les PPP, ont dénoncé ces pratiques du hors-bilan, véritables bombes à retardement pour les finances publiques ! D’où l’obligation faite aux collectivités territoriales depuis le premier janvier 2011 de faire apparaître au bilan le coût des loyers d’ investissement des contrats de partenariat. Cela n’est pas prévu pour la SEMOP, comment justifier un tel retour en arrière ?

Et comment justifier que des élus, par leur vote, prennent le risque d’une mainmise des grands groupes privés sur la commande publique et la gestion des services publics ?

En effet, les nombreuses propositions de loi déposées dans les deux Chambres du Parlement depuis quelques mois, et visant à instituer une SEM contrat, devenue SEM à opération unique, permettent d’établir un constat : un lobby est en train de remettre en cause les principes fondamentaux de la commande et de la maîtrise d’ouvrage publiques (transparence, liberté d’accès aux marchés et indépendance des acteurs : maître d’ouvrage, maître d’œuvre et entreprises) qui ont permis de doter le pays d’infrastructures dont la qualité est mondialement reconnue.

Nous craignons que cette annexion de la maîtrise d’ouvrage publique par les grands groupes privés, ne soit qu’une nouvelle forme de privatisation rampante des services publics et la porte ouverte à toutes les dérives et les conflits d’intérêt !

Cette proposition de loi est loin de garantir une « optimisation » du fonctionnement des services publics locaux. Elle est porteuse de nombreuses dérives et de conflits d’intérêt. Nous vous demandons donc d’exprimer votre opposition à la proposition de loi instituant la SEM à opération unique.

Nous vous prions d’agréer, Madame la Députée, Monsieur le Député, l’expression de notre parfaite considération.

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