International - Face à la crise

Paradis fiscaux

 Article paru
le 23 mars 2009

Face à la crise

Paradis fiscaux

Par Pierre Ivorra, économiste

Dès lors que l’on parle de paradis, on peut s’attendre à une certaine mystification, ou à tout le moins une certaine hypocrisie. Le sommet du G20 qui va réunir le 2 avril à Londres les principaux pays capitalistes, membres du G8, onze pays émergents (Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud, etc.) et l’Europe, doit traiter des paradis fiscaux. Qu’est-ce que l’on entend par là ? La mystification ou l’hypocrisie commence déjà avec la réponse donnée à cette question. L’OCDE, le club économique des pays riches de la planète où siègent certains des membres du G20, les États-Unis, la France, l’Allemagne, en donne une définition très jésuitique. Selon cette institution, un paradis fiscal désigne une « juridiction (qui) applique des impôts inexistants ou insignifiants ». Ce critère n’étant pas suffisant, l’OCDE en ajoute trois autres : une absence de transparence ; des lois ou des pratiques qui empêchent un véritable échange de renseignements avec les administrations d’autres pays ; l’absence d’activités « substantielles ».

Cette définition très restrictive explique que sur les 70 à 80 territoires reconnus par nombre de spécialistes comme étant des paradis fiscaux, l’OCDE n’en ait retenu que trois : Andorre, le Liechtenstein et Monaco. Et encore, aux yeux de l’institution c’est déjà trop. L’acceptation par les autorités d’Andorre d’engager des négociations avec l’OCDE afin que la principauté soit retirée de la liste devrait réduire cette liste des « mauvais garçons » de la mondialisation financière à deux clampins là où le FMI recense 17 gros bonnets, avec notamment la Suisse, le Luxembourg, et le Royaume-Uni, pays hôte de ce G20 printanier.

Quel est le « poids » de ces paradis dans la mondialisation financière ? Y seraient domiciliés quelque 400 banques, les deux tiers des 2 000 fonds spéculatifs, 2 millions de sociétés représentant plus de 7 000 milliards d’euros d’actifs financiers. C’est dire que l’organisation de ces réseaux confidentiels de l’argent ne saurait être imputée à de petites bandes de banlieue, elle relève de la plus haute stratégie financière, bénéficiant du concours des États. Monaco existerait-il sans la complaisance de Paris ?

Qui sont les « anges noirs » de ces paradis ? Pas seulement les narcotrafiquants colombiens ou la mafia russe. On y trouve du beau monde. En France, tout le système bancaire et le gratin du CAC 40 tiennent table d’hôte dans les paradis fiscaux. LVMH, EDF, BNP Paribas, Renault, PSA ont tous des filiales en Suisse, au Luxembourg, dans les îles anglo-normandes, aux Bermudes. Ils y domicilient les revenus tirés de leurs filiales étrangères, y organisent la répartition des flux d’argent entre leurs différents pays d’implantation en fonction de choix d’investissement et des « risques » en matière fiscale. Des sociétés écran, n’ayant pas d’autre activité que celle du négoce, achètent, vendent à des prix incontrôlés permettant des transferts de ressources d’un lieu à l’autre.

Les pays les plus puissants ont-ils vraiment l’intention de mettre de l’ordre au paradis ? Il est possible que des règles visant à un peu plus de transparence soient établies, mais là n’est pas l’essentiel. S’ils voulaient mettre un terme à ces activités, il leur suffirait de tarir la source qui les alimente, ces milliers de milliards de dollars tirés de l’exploitation du travail sur toute la planète, cette énorme accumulation de capitaux baladeurs, passant d’un pays, d’un continent à l’autre, à la recherche de la plus forte rentabilité. Évidemment, cela mettrait en cause l’organisation capitaliste de la production, des services et du crédit. La meilleure façon de s’attaquer aux paradis fiscaux c’est effectivement de dégonfler les marchés financiers et d’orienter l’argent autrement.

Voir en ligne : L’Humanité

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