De Bolkestein à l’arrêt Vaxholm Pour une Europe des droits sociaux

Pour une harmonisation par le haut des conditions de travail et d’emploi des salariés européens.

L’Union européenne est la zone la plus riche du monde. Pourtant la situation sociale s’y est considérablement dégradée ces dernières années, notamment sur les plans du chômage, de la pauvreté et de l’exclusion sociale.
La construction néolibérale de l’Union européenne aggrave cette situation : en même temps que se mettaient en place le marché unique et l’Union monétaire, les systèmes sociaux (et fiscaux) des différents pays de l’Union étaient mis en concurrence directe. Depuis les débuts de la construction européenne, les politiques de la concurrence relèvent de l’Union, et les politiques sociales restent de la compétence des Etats. Les élargissements successifs n’ont faits qu’aggraver les conséquences de cette situation.
Alors que les politiques sociales sont de plus en plus soumises aux impératifs de compétitivité, les évolutions du régime des retraites, de l’assurance maladie, de l’assurance chômage... en France, s’observent ainsi dans l’ensemble des pays de l’Union européenne. (Dans le même temps, les services publics ont été pour la plupart libéralisés, voire privatisés, et les politiques d’emploi n’ont pas, globalement, entamé la progression du chômage).
Comment prétendre maintenir durablement un niveau de protection sociale élevée dans certains pays, alors qu’ils cohabitent dans le même espace économique et social avec des pays ayant un niveau de protection sociale bien moindre ? Comment lutter contre la pratique des grands groupes qui en soustraitant leurs activités, entendent mettre en concurrence les systèmes sociaux et fiscaux des Etats et partant, vident peu à peu les droits du travail nationaux de leur contenu ?

La directive européenne 96/71 (16 décembre 1996)
Cette directive demande, dans les cas de "détachement des travailleurs salariés" d’appliquer les conditions de travail et d’emploi du pays d’exécution du contrat de travail. Les sujets concernés sont : les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos ; la durée minimale des congés annuels payés ; les taux de salaire minimal ; les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment par des entreprises de travail intérimaire ; la sécurité, la santé et l’hygiène au travail ; les mesures protectrices applicables aux conditions de travail et d’emploi des femmes enceintes et des femmes venant d’accoucher, des enfants et des jeunes, et l’égalité de traitement entre hommes et femmes ainsi que diverses dispositions en matière de non-discrimination.

Mais les entreprises concernées ne sont pas obligées de se soumettre à l’enregistrement et de fournir des informations sociales. Cette non ligation s’applique aussi à l’égard des travailleurs d’un pays tiers
(non membre de l’Union Européenne), à condition qu’ils soient salariés d’une entreprise d’un pays de l’espace Schengen. Ainsi, le contrôle de l’exécution du contrat de travail est de la compétence du pays d’origine... soit une pratique impossible !

Projet de directive Bolkestein (2005)
Le projet initial de "directive sur les services dans le marché intérieur", même s’il fût par la suite largement modifié sous la pression des mobilisations citoyennes, prévoyait que les prestataires de services, au sein de l’Union Européenne, seraient "soumis uniquement aux dispositions nationales de leur Etat membre d’origine". C’est le "principe du pays d’origine". Si le projet initial avait été adopté, toute entreprise aurait pu créer un simple siège social dans le pays de son choix, pour exercer son activité partout. Ainsi une entreprise aurait pu créer ses bureaux en Lituanie et payer ses ouvriers travaillant en France aux salaires lituaniens, avec les protections sociales lituaniennes. C’était donc une incitation légale à la délocalisation des entreprises de services vers les pays de l’Union où les règles en matière sociale, fiscale, de protection des consommateurs ou de l’environnement sont les moins élevées.

Arrêt Vaxholm (18 décembre 2007)
La Cour de Justice Européenne a rendu le 18 décembre 2007 un arrêt dit "arrêt Vaxholm", particulièrement important. L’affaire concernait un conflit opposant les syndicats suédois à une entreprise lettone chargée de construire une école à Vaxholm. Cette entreprise refusait d’appliquer la convention collective suédoise du bâtiment à des travailleurs lettons détachés. La Cour a donné raison à l’entreprise lettone. Cet arrêt prépare le détricotage du droit du travail national suédois.
Contrairement à la France le droit du travail suédois ne comporte pas un système d’application générale des conventions collectives.

La Cour de Justice s’appuie sur cet état de fait pour rendre son arrêt. La Cour de Justice précise que "le niveau de protection qui doit être garanti aux travailleurs détachés sur le territoire de l’État membre d’accueil est limité, en principe, à celui prévu à l’article 3, paragraphe 1, premier alinéa, sous a) à g), de la directive 96/71", c’est à dire limité à un niveau minimal de protection. La Cour vide de son contenu la partie de la directive 96/71 qui permet l’application de conditions de travail et d’emploi plus favorables que ces normes minimales. Elle indique que cet article "ne saurait être interprété en ce sens qu’il permet à l’État membre d’accueil de subordonner la réalisation d’une prestation de services sur son territoire à l’observation de conditions de travail et d’emploi allant au-delà des règles impératives de protection minimale". Ainsi, l’adhésion à une convention collective est considérée comme un obstacle à la libre prestation de services, liberté reconnue par les traités.

Pour la Cour
, la libre prestation des services est une liberté fondamentale explicitement garantie par le traité. Elle peut, en principe, être limitée pour protéger d’autres droits fondamentaux. Le problème est de définir le contenu de ces droits fondamentaux. Le fait d’exiger les mêmes conditions de travail et d’emploi pour les salariés détachés que celles qui s’appliquent aux salariés du pays d’accueil ne fait pas partie de ces droits fondamentaux. Agir pour l’application de ce droit est considéré par la Cour comme une entrave à la libre prestation des services.

La Cour pousse jusqu’au bout la logique du droit européen directement dérivé des traités et des directives. Cet arrêt rend plus que jamais nécessaire le débat public sur la nature de l’Union européenne
et le combat pour une "autre Europe" qui mettrait au premier plan l’harmonisation par le haut des conditions de travail et d’emploi des salariés en Europe.

Des propositions à débattre
Le refus du principe du pays d’origine doit être fermement exclu. Mais au-delà de ce refus, des questions demeurent : quelle doit être la portée de la législation européenne ? Quel est le niveau de subsidiarité pertinent ?

Instaurer des critères de convergences sociaux pour aller vers des droits sociaux identiques dans tous les pays de l’Union suppose de déterminer une liste des droits sociaux fondamentaux (salaire, minima sociaux, revenu minimum garanti, pensions...). Comme les pays de l’Union se trouvent à des niveaux de développement différents, le contenu des critères de convergence devraient être définis au cas par cas,
accompagnés d’un calendrier précis.

Une clause de non régression permettrait d’éviter tout recul social. Ainsi l’obligation d’un salaire minimum, fixé par exemple suivant un ourcentage du P.I.B., s’accompagnerait d’une clause de non régression protégeant les niveaux plus élevés.. (Un même schéma peut exister pour les revenus de substitution, minima sociaux, retraites...)

Une notion d’"unité économique et sociale" permettrait de rendre les entreprises donneuses d’ordre responsables des salariés de leurs entreprises sous-traitantes et garantirait les mêmes droits à
l’ensemble des salarié-e-s. Les droits transnationaux des salariés en seraient renforcés.

Une coordination des régimes de sécurité sociale des travailleurs détachés devrait renforcer les obligations de respect des normes d’emploi du pays d’accueil et rompre le lien de dépendance qui existe
entre les travailleurs détachés et leur employeur.

L’égalité des droits pour tous doit être reconnue. Il faut établir une citoyenneté européenne de résidence, pour permettre l’accès aux droits de dizaines de milliers de personnes résidant sur le territoire européen,
mais exclus de toute reconnaissance nationale et citoyenne.

Saint-Nazaire le 26 mars 2008

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