Le « traité modificatif » européen, jumeau du TCE

Texte du diaporama de Jean-Marie Harribey (novembre 2007) servant de support à des soirées-débat sur le Traité modificatif européen.
Le diaporama est téléchargeable en fin d’article.

Jean-Marie Harribey
http://harribey.u-bordeaux4.fr
http://www.france.attac.org
5 novembre 2007

Introduction

D’où vient l’Europe ?
 1951 : CECA à 6 pays
 1957 : Traité de Rome (CEE et Euratom) à 6 pays
 1962 : Début de la PAC
 1971 : Montants compensatoires monétaires
 1972 : Serpent monétaire
 1979 : Système monétaire européen
 1986 : Acte unique européen
 1992 : Traité de Maastricht
 1993 : Grand marché unique
 1997 : Traité d’Amsterdam et Pacte de stabilité
 1999 : Euro sur les places financières
 2000 : Charte des droits fondamentaux
 2000 : Stratégie de Lisbonne
 2001 : Traité de Nice
 2002 : Euro monnaie unique
 2004 : Projet de traité constitutionnel à 25 pays
 2007 : Traité modificatif

Elargissement de l’Europe
 1957 : Allemagne, Belgique, France, Italie, Luxembourg, Pays-Bas
 1973 : Danemark, Irlande, Royaume-Uni
 1981 : Grèce
 1986 : Espagne, Portugal
 1995 : Autriche, Finlande, Suède
 2004 : Chypre, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, République tchèque, Slovaquie, Slovénie
 2007 : Bulgarie, Roumanie
Candidats : Croatie, Turquie

Euroland (13)
 Allemagne
 Autriche
 Belgique
 Espagne
 Finlande
 France
 Grèce
 Irlande
 Italie
 Luxembourg
 Pays-Bas
 Portugal
 Slovénie (2007)
 N’en font pas partie : Danemark, Royaume-Uni, Suède + 9 + 2

Les traités
 Traité instituant la Communauté économique européenne (Traité de Rome, 1957)
 Amendé par les traités de Maastricht (1992), d’Amsterdam (1997) et de Nice (2001) qui constituent le Traité sur l’Union européenne (TUE)
 Le Traité de Rome réintitulé Traité instituant la Communauté européenne (TICE) après Nice
 Ce sont ces deux traités (TUE et TICE) qui sont le sujet aujourd’hui du « Traité modificatif » de Lisbonne
 Le TUE garde son nom et le TICE devient le Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE)
 S’ajoutent le Traité instituant la Communauté européenne de l’énergie atomique (Euratom, 1957) et la Charte des droits fondamentaux (2000)

Les institutions politiques
 cf. vignette 7 du diaporama attaché en fin de document

Les institutions spécialisées

Banque centrale européenne
 indépendante des pouvoirs politiques
 seule habilitée à autoriser l’émission de monnaie
 veille à la stabilité des prix

Cour de Justice de l’Union européenne
 composée de la Cour de Justice, du Tribunal et de tribunaux spécialisés
 statue sur les recours des Etats, institutions et personnes

1. Le traité modificatif

Des changements par rapport au TCE ?
 Les mots de « constitution » et « constitutionnel » sont bannis, mais les traités priment sur le droit national, même constitutionnel
 La Commission reste une sorte de gouvernement européen, dont le Président est élu pour 5 ans par le Parlement, sur proposition du Conseil européen, et dont les membres ne sont pas choisis sur une base politique
 Ni séparation, ni contrôle des pouvoirs, ni garantie des droits fondamentaux
 En somme, une constitution sans les caractéristiques d’une constitution démocratique

Quelle économie ?

Circulation des capitaux
 TFUE, 188 B : « L’Union contribue à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres. » Quid des « autres » : normes environnementales, protection des consommateurs ?
 TFUE, 56, 57-3 (TCE, 156, 157-3) : unanimité requise pour restreindre la liberté de circulation des capitaux
 TUE, 10 A : l’objectif de la politique commerciale est « d’encourager l’intégration de tous les pays dans l’économie mondiale, y compris par la suppression progressive des obstacles au commerce international »

Concurrence
 La « concurrence libre et non faussée » n’apparaît plus comme objectif de l’UE (cf. TCE, 3-2)
 TFUE, 105 : affirme « le principe d’une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ».
 Protocole 6 : « Le marché intérieur tel qu’il est défini à l’article 3 du TUE comprend un système garantissant que la concurrence n’est pas faussée. » Or l’article 3 porte sur les objectifs de l’UE
 Le droit de la concurrence reste donc un droit organisateur de l’UE, surplombant tous les autres

La politique économique
 TUE, 3 : Stabilité des prix, objectif de l’UE, ce qui, bien que critiquable, n’était auparavant qu’un objectif de la BCE
 TFUE, 108 (TCE, 188) : Indépendance de la BCE qui signifie l’impossibilité d’une politique monétaire autre que celle tournée vers la rente financière
 Déclaration 15 : Renforcement de la compétitivité et « restructuration des recettes et des dépenses publiques, tout en respectant la discipline budgétaire conformément aux traités et au Pacte de stabilité et de croissance » pour « parvenir progressivement à un excédent budgétaire en période de conjoncture favorable »

Quels droits ?

La Charte des droits fondamentaux
 Elle n’est pas intégrée au traité modificatif. Mais TUE, 6 reconnaît « les droits, les libertés et les principes qui y sont énoncés » car « elle a la même valeur juridique que les traités ». Déclaration 29 : La Charte est « juridiquement contraignante »
 Or la Charte contient des droits sociaux de faible portée : pas de droit au travail ou à l’emploi, seulement « droit de travailler » ; pas de droit à la protection sociale, seulement « droit d’accès aux prestations de sécurité sociale et aux services sociaux »
 Pas de droit à la contraception et à l’avortement
 Application des droits renvoyée aux Etats, aucune compétence ni tâche nouvelle pour l’UE
 Protocole 7 : dispense pour le Royaume-Uni et la Pologne

Les migrants
 TCE, 3-2 : « L’Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, et un marché intérieur où la concurrence est libre et non faussée. »
 TFUE : « L’Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d’asile, d’immigration, ainsi que de prévention contre la criminalité et de lutte contre ce phénomène »

Les services publics
 TICE, 16, reconnaissait les SIEG comme une « valeur commune de l’Union » et que l’Union et les Etats membres « veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions qui leur permettent d’accomplir leurs missions »
 TFUE, 14 modifié : subordonnés aux articles 86 et 87 du TFUE qui soumettent les services publics aux règles de la concurrence ; ils ne peuvent y déroger que si cela n’entrave pas le développement des échanges (dérogations accordées par la seule Commission) ; toute aide de l’Etat est interdite
 Protocole 9-2 : Les Etats conservent la possibilité d’organiser des services non marchands, mais ils ne sont jamais définis, car, à l’inverse, tout peut être défini comme une activité économique (cf. arrêt de la Cour de justice, C-180-184-98, et rapport du Conseil européen de Laeken, 2001)

Quelle politique de sécurité et de défense ?
 Lien avec l’OTAN renforcé par TUE, 27-7 (TCE, 41-7) et Protocole 4 : « Les engagements et la coopération dans ce domaine demeurent conformes aux engagements souscrits au sein de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, qui reste, pour les Etats qui en sont membres, le fondement de leur défense collective et l’instance de sa mise en œuvre. »
 TUE, 27-3 : « Les Etats membres s’engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires. »
 TUE, 28 (TCE, 309) : « Toutes ces missions peuvent contribuer à la lutte contre le terrorisme, y compris par le soutien apporté à des pays tiers pour combattre le terrorisme sur leur territoire. »

Quelles institutions ?

Rôle des parlements
 TUE, 5, Protocole 1-3 : Les parlements nationaux peuvent s’élever contre un projet d’acte législatif européen s’ils estiment qu’il ne respecte pas le principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de la compétence exclusive de l’UE. Si un tiers des parlements sont de cet avis, il doit être réexaminé. Si une majorité des parlements et 55% du Conseil ou la majorité du PE sont opposés, le projet est retiré
 Co-décision du PE et du Conseil des ministres étendue de 49 à 69 domaines sur 90. Mais la co-décision est exclue pour : politique étrangère et sécurité, tarifs douaniers, politique monétaire, fiscalité, essentiel de la politique agricole, marché intérieur et politique sociale en partie

 Personnalité juridique de l’UE : signature d’accords internationaux au nom des Etats membres
 Majorité qualifiée au Conseil des ministres : 50% des Etats et 55% de la population (en 2014)
 Président du Conseil européen pour 2,5 ans renouvelable une fois
 Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères

 Pas de droit d’initiative citoyenne véritable : TUE, 8-B-4 (TCE, 47-4) soumet au bon vouloir de la Commission toute demande qui n’est qu’ « invitée ». Les propositions d’un million de citoyens ne peuvent porter que sur des points « aux fins d’application des traités »

Ils l’ont dit…
 « La substance de la Constitution est maintenue. C’est un fait. » Angela Merkel, Chancelière allemande, The Daily Telegraph, 29 juin 2007
 « Nous n’avons pas abandonné un seul point essentiel de la Constitution (…) C’est sans aucun doute bien plus qu’un traité. C’est un projet de caractère fondateur, un traité pour une nouvelle Europe » Jose Luis Zapatero, Premier ministre espagnol, 27 juin 2007
 « 90% [de la Constitution] sont toujours là (…) Ces changements n’ont apporté aucune modification spectaculaire à l’accord de 2004". Bertie Ahern, Irish Independent, Premier ministre d’Irlande, 24 juin 2007
 « Seuls des changements cosmétiques ont été opérés et le document de base reste le même" Vaclav Klaus, Président de la République techèque, The Guardian, 13 juin 2007
 « Le but du Traité constitutionnel était d’être plus lisible (…) Le but de ce traité est d’être illisible (…) La constitution voulait être claire alors que ce traité devait être obscur. C’est un succès. » Karel de Gucht, ministre belge des affaires étrangères
 « En termes de contenu, les propositions demeurent largement inchangées, elles sont justes présentées de façon différente. La raison de ceci est que le nouveau texte ne devait pas trop ressembler au traité constitutionnel. Les gouvernements européens se sont ainsi mis d’accord sur des changements cosmétiques à la Constitution pour qu’elle soit plus facile à avaler. » Valéry Giscard d’Estaing, devant la commission des Affaires constitutionnelles du Parlement européen, 17 juillet 2007
 « Ce texte est en fait, le retour d’une grande partie de la substance du Traité constitutionnel. » V. Giscard d’Estaing, The Daily Telegraph, 27 juin 2007
 « Si l’on en vient maintenant au contenu, le résultat est que les propositions institutionnelles – les seules qui comptaient pour les conventionnels – se retrouvent intégralement dans le traité de Lisbonne, mais dans un ordre différent, et insérés dans les traités antérieurs (…) Ainsi l’expression "concurrence libre et non faussée", qui figurait à l’article 2 du projet, est retirée à la demande du président Sarkozy, mais elle est reprise, à la requête des Britanniques, dans un protocole annexé au traité qui stipule que "le marché intérieur, tel qu’il est défini à l’article 3 du traité, comprend un système garantissant que la concurrence n’est pas faussée" (…) Quel est l’intérêt de cette subtile manoeuvre ? D’abord et avant tout d’échapper à la contrainte du recours au référendum, grâce à la dispersion des articles, et au renoncement au vocabulaire constitutionnel. » V. Giscard d’Estaing, Le Monde, 27 octobre

2. L’alternative

La démocratie bafouée…
 Adoption par voie parlementaire et non par référendum
 Calendrier très serré
 Texte très compliqué et non « simplifié » : 297 modifications, 12 protocoles, des dizaines de déclarations
 Reprise du texte du TCE rejeté par les Français et les Néerlandais, parfois en aggravant les choses : rôle essentiel de « l’héritage religieux »

… ou bien la démocratie renforcée
 L’exigence d’un référendum sur un texte déjà refusé

Pour tout nouveau traité :
 une élaboration par une assemblée élue par les citoyens avec la participation effective des parlements nationaux
 une ratification par référendum dans chaque État membre. (10 principes des Attac d’Europe)

La démocratie renforcée
 Placer les élus devant leurs responsabilités
 Saisie du Conseil constitutionnel
 Si celui-ci estime nécessaire une révision constitutionnelle, une majorité des 2/3 du Congrès est requise

Appel unitaire sur le projet de nouveau traité européen :
http://www.collectifdu29mai.org

Une Europe solidaire, écologique et démocratique
 Harmonisation sociale : salaire minimum dans chaque pays en fonction du PIB par habitant
 Abrogation de la directive Services, nouveau mandat confié pour s’opposer à l’AGCS de l’OMC
 Principe qu’aucun service public ne peut être soumis au droit de la concurrence
 Moratoire européen sur toutes les libéralisations
 Harmonisation de la fiscalité, notamment celle des entreprises ; interdiction des flux financiers entre l’UE et les paradis fiscaux ; mise en place par l’UE de taxes globales sur les opérations financières et d’écotaxes ; levée du secret bancaire
 Augmentation du budget européen de façon substantielle afin de financer les fonds structurels, un processus de convergence sociale, la recherche et les projets d’infrastructures européennes, la réparation et la prévention des dégâts écologiques
 Abandon du Pacte de stabilité
 Contrôle des gouvernements et du Parlement européen sur la Banque centrale européenne
 Nouvelle génération de traités bilatéraux fondés sur les principes de solidarité, de cohésion sociale et de respect de l’environnement
 Augmentation de l’aide publique au développement des pays du Sud (0,7 % du PIB en 5 ans)
 Interdiction de l’exportation vers les pays du Sud de tout produit agricole subventionné par l’UE, et reconnaissance du droit à la sécurité et la souveraineté alimentaires
 Diminution des émissions de gaz à effet de serre de 3/4 d’ici 2050
 Diminution des pouvoirs de la Commission européenne (fin du monopole d’initiative législative, contrôle en matière de concurrence)
 Elargissement des pouvoirs du Parlement européen et participation des Parlements nationaux
 Capacité d’intervention directe des citoyens par pétition européenne

Conclusion

 L’Acte unique de 1986 a donné le coup d’envoi de la transformation de l’UE en zone de libre-échange, avec l’aval des Etats
 La démocratie est une condition indispensable pour que puisse s’ouvrir un débat de fond sur le type d’Europe politique que nous voulons :

  • Europe des nations ? Pas besoin de constitution, des traités entre Etats suffisent. Risque : faiblesse face à la mondialisation du capital
  • Construction d’un espace politique face à la mondialisation du capital. Double légitimité à construire : Europe des Etats et Europe des citoyens. Un processus constituant serait donc possible à terme, et il participerait à l’émergence et au renforcement de l’espace citoyen

Bibliographie

 Attac, Manifeste altermondialiste, Construire un monde solidaire, écologique et démocratique, Paris, Mille et une nuits, 2007.
 Attac, « Les 10 principes des Attac d’Europe pour un traité démocratique », 30 mars 2007, http://www.france.attac.org/spip.ph...
 Attac, « Traité modificatif européen : une copie du TCE », Lignes d’attac, n°63, octobre 2007.
 R. Joumard, « Analyse détaillée du projet de traité modificatif de l’Union européenne », http://www.local.attac.org/rhone/ar...
 P. Khalfa, « Traité modificatif de l’UE : inacceptable par sa méthode et pour son contenu ! », http://www.france.attac.org/spip.ph...
 J. Tosti, « Ratification des traités européens : pour y voir clair », http://www.france.attac.org/spip.ph...

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