mardi 06 novembre : Grenelle de l’Environnement

Le 1er mardi de novembre est consacré au Grenelle de l’Environnement

En fin de cet article, vous trouverez en document attaché le diaporama dont s’est servi Aurélien Bernier en support de son intervention.

Mardi 06 novembre, 20h30
Mairie annexe de Doulon
(tramway ligne 1, arrêt "Mairie de Doulon")

Au moment où nous écrivons ces lignes, le processus du Grenelle de l’Environnement est encore inachevé. Pourtant, les propositions qui émanent des groupes de travail montrent déjà que le consensus mou dominera largement. Et que la quasi-totalité des efforts réclamés reposeront au final sur le citoyen. Au-delà d’un éventuel gel des cultures d’OGM, il est évident qu’aucune mesure ne marquera de véritable rupture avec les politiques libérales.

Or, face au changement climatique et aux impacts nombreux que nos sociétés ont sur l’environnement, il est impossible d’espérer changer quoi que ce soit sans remettre en cause nos choix économiques.

attac-44 vous propose d’analyser les décisions issues du Grenelle de l’Environnement, et surtout, de parler des alternatives qui sont volontairement "oubliées" par les pouvoirs publics : taxes globales sur le CO2 et l’énergie, éco-conditionnement des aides publiques, création d’un véritable service public de l’environnement… Des solutions qui non seulement se doivent d’être efficaces d’un point de vue environnemental, mais qui ont aussi l’obligation de respecter un principe de justice sociale.

Cette soirée sera introduite et animée par Aurélien Bernier, responsable de la Commission "OGM" de attac-France.


Annexe 1
Développement durable et marchés publics : le grand écart de l’Union Européenne

par Aurélien Bernier
08/03/07

Pour l’année 2003, le poids économique de la commande publique en France représentait plus de 136 milliards d’eurosi. Ce montant recouvre la valeur des biens et services marchands effectivement consommés, hors marchés de travaux. Il représente la bagatelle de 8,7% du PIB. En intégrant les travaux, on atteint 15% du PIB, le chiffre pour l’ensemble de l’Union européenne étant quasiment identique (14%). Autant dire que la puissance publique dispose à priori d’un levier formidable pour orienter les pratiques de l’industrie, notamment en matière d’environnement et de progrès social.

L’ère du changement climatique et des politiques de réduction d’émissions de gaz à effets de serre dans laquelle nous sommes entrés pourrait laisser croire que les états et les collectivités locales sont prêts à agir, notamment par l’intégration de critères exigeants et cohérents dans leurs marchés. Or, les choses sont loin d’être aussi simples. L’Union européenne, qui fixe dans des directives les grands principes de la commande publique pour les états membres, révèle encore une fois sa schizophrénie. Malgré ses déclarations d’engagement dans la lutte contre le réchauffement de la planète, elle continue de placer le dogme de la « libre concurrence » au dessus de toute autre considération, et prouve ainsi que libéralisme économique et développement durable sont par nature incompatibles.

Un marché public comporte trois parties principales : un objet, des conditions d’exécution et des critères de choix.
A propos de l’objet, le Décret n° 2006-975 du 1er août 2006 portant code des marchés publics indique dans son Article 5 : « La nature et l’étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant tout appel à la concurrence ou toute négociation non précédée d’un appel à la concurrence en prenant en compte des objectifs de développement durable. »
Cette référence au développement durable n’était pas présente dans la précédente version du code qui datait de 2004. Elle a été introduite dans la dernière mouture. A la lecture de cette phrase, on pourrait penser que les pouvoirs publics ont maintenant la possibilité, lors de la passation de marchés, de prendre en considération des clauses sociales et environnementales autant qu’économiques, et que l’affaire serait donc réglée.
Mais dès la ligne suivante, il est dit que « Le ou les marchés ou accords-cadres conclus par le pouvoir adjudicateur ont pour objet exclusif de répondre à ces besoins. »
Pourquoi cette précision ? Tout simplement parce qu’une vision très stricte de l’objet du marché, associée au principe fondateur de non-discrimination, constituent le mécanisme qui empêche toute véritable mise en œuvre des principes de développement durable.

En effet, par la suite, le code des marchés publics indique que tous les critères de choix des offres, qui permettront de départager les différentes propositions, ne pourront être liés qu’à l’objet du marché et à rien d’autre. L’article 53-I affirme que « Pour attribuer le marché au candidat qui a présenté l’offre économiquement la plus avantageuse, le pouvoir adjudicateur se fonde : 1° Soit sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l’objet du marché, notamment la qualité, le prix, la valeur technique, le caractère esthétique et fonctionnel, les performances en matière de protection de l’environnement, les performances en matière d’insertion professionnelle des publics en difficulté, le coût global d’utilisation, la rentabilité, le caractère innovant, le service après-vente et l’assistance technique, la date de livraison, le délai de livraison ou d’exécution. D’autres critères peuvent être pris en compte s’ils sont justifiés par l’objet du marché ; 2° Soit, compte tenu de l’objet du marché, sur un seul critère, qui est celui du prix. »

Prenons l’exemple d’une collectivité qui achète des produits alimentaires pour de la restauration collective. Elle peut sans problème écrire qu’elle souhaite s’approvisionner en produits issus de l’agriculture biologique, car dans ce secteur la concurrence existe. Mais, comme « l’objet exclusif » est d’obtenir des aliments, il est hors de question, par exemple, d’intégrer des critères en matière d’émissions de polluants liés au transport de ces produits. Impossible donc de refuser une offre dans laquelle tous les aliments bios seraient fabriqués en Pologne puis acheminés par les camions les plus polluants qu’on puisse trouver si cette dernière est au meilleur prix.

Les « conditions d’exécution », c’est à dire les préconisations techniques liées au marché, devront elles aussi être conformes aux principes fondamentaux de l’Union européenne. Encore la non-discrimination, et, bien évidemment, la lutte contre ce qui représente pour les commissaires européens le « mal absolu » : la préférence nationale… et à fortiori locale.

Ainsi, les élus qui souhaiteraient utiliser la commande publique comme levier pour des politiques de développement durable doivent savoir qu’ils ne peuvent agir, encore aujourd’hui, qu’en fonction des règles de l’Organisation Mondiale du Commerce. L’environnement et le social, d’accord, mais dans le respect de la libre concurrence absolue, ce qui a pour effet de les ranger au rayon des décorations.
Certains ont pu rêver, en lisant le terme « développement durable », à un véritable changement. Par exemple, à la possibilité d’évaluer des offres à partir d’un indicateur global, sorte « d’empreinte écologique et sociale », qui prenne en compte tous les impacts liés à la commande et qui s’imposerait dans le règlement des contentieux. Pour la fourniture d’aliments, une analyse complète aurait intégré les méthodes de production, mais aussi l’emploi sur la ferme, l’impact du transport…
Mais voilà, une telle démarche aurait pu dangereusement favoriser le développement local et ruiner les efforts de l’OMC et de l’Union européenne pour imposer la « libre concurrence ». Le paysan voisin serait soudain devenu « compétitif » face à l’agri-manager qui exploite des milliers d’hectares dans les pays de l’Est à un coût horaire dérisoire. Les élus locaux auraient trouvé dans ces dispositions un moyens de faire vivre leur territoire autrement qu’en attirant les entreprises à grands renforts d’exonérations de charges. Inacceptable pour les défenseurs de la concurrence « libre et non faussée » !

Une mesure de rupture avec les pratiques libérales, simple et efficace, consisterait donc à réellement mettre en œuvre le développement durable dans la commande publique, c’est-à-dire à lui donner une priorité politique sur la libre concurrence dans les directives européennes. Avec un marché potentiel de 1880 milliards de dollars US, aucun doute que les entreprises s’y adapteraient rapidement.


Annexe 2
Développement durable : vingt ans de mystification

par Aurélien Bernier
Juillet 2007

En ce qui concerne la question écologique, 2007 ne sera pas seulement l’année du grenelle convoqué par M. Nicolas Sarkozy à la rentrée et de la polémique qui l’accompagne. Elle est déjà l’occasion de commémorer un événement qu’on nous présente comme marquant dans l’histoire des politiques environnementales. Il y a tout juste vingt ans, une commission créée par l’Organisation des Nations Unies et baptisée « Commission mondiale sur l’environnement et le développement » publiait le « Rapport Brundtland », du nom de sa présidente norvégienne. Ce document restera connu comme celui qui allait populariser la notion de développement durable.

Quinze ans plus tôt, une association internationale composée de diverses personnalités de la société civile, le « Club de Rome », tirait une sonnette d’alarme qui semblait à l’époque totalement décalée. Alors que les chocs pétroliers n’avaient pas encore marqué la fin des trente glorieuses, ce cercle de réflexion s’adressait aux dirigeants des grandes puissances mondiales pour s’inquiéter de l’impact sur l’environnement d’une croissance effrénée.

Entre les deux, l’expression « développement durable », traduite de l’anglais « sustainable development », verra discrètement le jour dans les années 80. Lorsque la commission Bruntland décide de la reprendre à son compte, elle lui donne la définition suivante : « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». On applaudit. Pour la première fois, on se soucie de transmettre aux prochaines générations suffisamment de ressources pour qu’elles puissent vivre correctement. Et on entérine quasiment aussitôt ce concept, lors de la Conférence des Nations Unies pour l’Environnement et le Développement qui a lieu à Rio en 1992.

Il existe pourtant un léger problème avec la notion de développement durable telle que la formalise le Rapport Bruntland. Comme il n’est pas question pour les rédacteurs de remettre en cause la croissance telle que nous la connaissons, ces derniers posent comme axiome le principe d’une compensation des atteintes à l’environnement par des développements technologiques. La technologie guérira tout pour peu qu’on y mette les moyens. L’essentiel sera donc maintenant de découpler croissance et pollution (dit autrement, peu importe que la pollution augmente si elle augmente moins vite que la croissance)… et de le faire savoir à grand renfort de communication.

Comme chacun le sait, les entreprises s’engouffreront dans la brèche et seront promptes à se repeindre aux couleurs du développement durable à peu de frais. L’électricien EDF, par exemple, puisque le nucléaire permet de limiter les rejets directs de gaz à effet de serre. L’agrochimiste Monsanto, puisque certaines de leurs plantes transgéniques permettent d’éviter des épandages de pesticides… Et les cas similaires se multiplient à l’infini.

Comment une telle supercherie est-elle possible, alors que dans le même temps, tout le monde ou presque s’accorde sur le constat d’une dégradation alarmante de l’environnement ?

Le développement durable est censé s’intéresser aux interactions entre l’économique, le social et l’environnemental pour y rechercher un optimum.
Or, les profits de l’économie néolibérale s’engraissent de spéculation sur les marchés financiers, mais aussi d’externalités. C’est-à-dire de la différence entre le coût global et le coût supporté par le producteur. Une paire de chaussure fabriquée en Chine coûtera une somme dérisoire à la multinationale qui la fabrique. Les ouvriers de l’usine sont traités et payés comme on le sait : mal. L’usine rejette des quantités importantes de polluants. L’activité génère des millions de kilomètres de transport. Tout ceci est au final payé par quelqu’un. Puisqu’il ne s’agit pas de la multinationale, il s’agit de la collectivité, qui dépollue ou se protège de la pollution, qui fournit plus ou moins d’aides sociales pour compenser la précarité des salariés, qui soigne les maladies professionnelles…

Une façon sérieuse de traiter le développement durable aurait été de poser la question suivante : comment réintégrer progressivement les externalités dans le coût de production ? Comment faire en sorte que le prix de la tonne de maïs cultivé en intensif contienne le coût social de l’irrigation, de l’épandage de pesticides, du séchage fortement consommateur d’énergies fossiles, etc. ?

La réponse est évidemment complexe, mais une chose est certaine. De tels changements ne pourront jamais s’effectuer en conservant des règles de libre échange qui mettent en concurrence des États aux législations sociales et environnementales totalement disparates. C’est pourquoi le développement durable restera une décoration offerte aux entreprises tant qu’il ne s’attaquera pas à la mondialisation néolibérale. Encourager les bonnes pratiques sur la base du volontariat sans rien changer aux lois du commerce international relève de l’arnaque pure et simple.

Il faudra donc prendre tôt ou tard des décisions éminemment politiques. Il faudra se rappeler qu’elles peuvent être de plusieurs natures : réglementaires, économiques, informationnelles, d’action publique directe... En jouant intelligemment de plusieurs instruments, un État peu tout à fait mettre en œuvre une réelle politique de développement durable. Le cadre réglementaire permet de définir de façon globale un niveau minimum de « performance » sociale et environnementale. Les outils économiques offrent les moyens, à l’intérieur de ce cadre, de favoriser le mieux-disant. Imaginons une liste d’indicateurs socio-environnementaux. Par la réglementation, on leur associe le minimum acceptable auquel chaque activité devra se conformer. Dans un deuxième temps, ils servent d’assiette au calcul d’une taxe, qui peut très bien toucher les activités résidentes de l’État en question (celles qui se déroulent sur son territoire), mais aussi les importations de produits et de services. Enfin, ces mêmes indicateurs peuvent servir de base au calcul des aides publiques aux entreprises qu’il serait enfin temps de conditionner plutôt que d’attribuer les yeux (presque) fermés.

A ce jour, de telles mesures sont évidemment difficiles à concevoir. Mais elles seraient un moyen crédible et efficace pour redonner du sens à cette notion déjà usagée de développement durable. Puisqu’aucun gouvernement ne semble avoir le courage de le faire, ce serait tout à fait le rôle d’une association comme Attac de lancer le débat public sur ces questions.


Annexe 3
Environnement : un levier de 300 milliards dans les mains des pouvoirs publics

par Aurélien Bernier
10 Août 2007

La préparation du Grenelle de l’environnement s’effectue autour de six groupes de travail thématiques1. Celui qui porte le numéro quatre s’intitule « Adopter des modes de production et de consommation durables : agriculture, pêche, agroalimentaire, distribution, forêts et usages durables des territoires ». Le groupe numéro cinq, « Construire une démocratie écologique : institutions et gouvernance », propose quand à lui de « réformer les institutions pour prendre en compte le pilier environnemental du développement durable ». Enfin, le sixième, qui a pour titre « Promouvoir des modes de développement écologiques favorables à la compétitivité et à l’emploi » s’intéressera à la « fiscalité écologique » et à la « modification des comportements », à l’emploi et à la compétitivité, ainsi qu’aux « nouveaux indicateurs ».
Une question centrale devrait en théorie traverser ces trois groupes. Elle peut se résumer à : « comment réduire l’impact de la production et de la consommation sur l’environnement ? ». Et, bien évidemment, elle se double d’une seconde, qui est : « comment l’état peut-il favoriser cette mutation ? ».

Sans préjuger des résultats du Grenelle, il faut avouer que les premières pistes évoquées laissent sceptique.
Le 6 juillet, M. Dominique Bussereau, ministre des transports, indique qu’il proposera au Grenelle l’instauration d’une taxe sur les poids lourds, étant entendu que cette dernière ne se superposerait pas aux péages autoroutiers. Si l’idée est tout à fait louable, l’élu UMP n’ira toutefois pas jusqu’à s’avancer sur un taux ni sur une affectation de son produit.
M. Nicolas Sarkozy s’est engagé quand à lui à faire passer la fiscalité écologique de 2,3% actuellement, à 5% du PIB en 2010. Mais, d’une part, cette notion de fiscalité écologique est particulièrement floue. Elle inclut par exemple la Taxe Intérieure sur les Produits Pétroliers (TIPP), qui pèse à elle seule 24 milliards d’euros sur les 42,8 milliards qui entrent dans les calculs. D’autre part, le Président de la République ne dit pas qui devra assumer cette hausse de la fiscalité. S’il s’agit encore une fois d’augmenter la TIPP ou de taxer les consommations domestiques sans discernement, elle pénalisera lourdement les couches sociales les moins favorisées.

Il existerait pourtant un moyen efficace d’obtenir une amélioration notable et rapide de l’impact des modes de production et de consommation sur l’environnement tout en laissant intacte la sacro-sainte compétitivité des entreprises.
La commande publique, qui regroupe les achats de biens, de services et les prestations de travaux de l’État et des collectivités locales, se monte à 234 milliards d’euros par an. Les aides publiques aux entreprises sont évaluées à 65 milliards par an. La somme des deux se chiffre donc à près de 300 milliards d’euros et représente 17,5% du PIB national. 300 milliards d’euros d’argent public qui sont versés chaque année directement aux entreprises.

Imaginons deux mesures. La première consiste à rendre obligatoire l’intégration de considération environnementales dans la commande publique : exigence d’écolabels, utilisation de bois certifié, de matériaux recyclés, produits alimentaires issus d’une agriculture durable… La seconde est un conditionnement des aides publiques aux entreprises au respect de critères environnementaux. Ce qu’on appelle une éco-conditionnalité. Dans un cas comme dans l’autre, aucun obstacle technique n’empêche de les mettre en œuvre.

Pour la commande publique, il suffit de définir des cahiers des charges types (qui existent déjà en grande partie sous forme de préconisations et autres guides) et de s’assurer que les collectivités et que les services de l’État les intègrent à leurs marchés. Le Comité des Finances Locales, qui est l’organisme de contrôle pour la répartition des principaux concours financiers de l’État aux collectivités locales, pourrait être renforcé et se voir attribuer une nouvelle fonction de contrôle de l’éco-responsabilité de leur commande publique. Le versement de la Dotation Globale de Fonctionnement (39 milliards d’euros en 2007), qui est une base de ressources régulières fournie par l’État aux collectivités locales, pourrait être conditionné au respect des principes d’éco-responsabilité dans les passations de marchés.

En matière d’aides publiques, un travail préalable est nécessaire. Ce domaine est en effet une véritable jungle dans laquelle aucun gouvernement ne s’est réellement s’aventuré. Le « Rapport sur les aides publiques aux entreprises » de décembre 2006, réalisé par l’Inspection générale des Finances, l’Inspection générale des Affaires sociales et l’Inspection générale de l’Administration estime que le nombre cumulé des dispositifs d’aides s’élève à au moins six mille ! Les rédacteurs proposent leur recensement, leur harmonisation et leur évaluation. Dès lors, on pourrait y ajouter sans difficulté le conditionnement à des pratiques éco-responsables, qui n’est qu’une affaire de volonté politique. M. Nicolas Sarkozy et les membres de son gouvernement l’auront-elle ? Rien n’est moins sûr. Durant son mandat de Premier Ministre, en janvier 2001, M. Lionel Jospin avait créé la Commission nationale des aides publiques aux entreprises (CNAPE). La mission de cet organisme était justement d’évaluer les impacts des aides publiques aux entreprises et de rendre au Parlement un rapport annuel sur le sujet. Elle fut abrogée par M. Jean-Pierre Raffarin le 20 décembre 2002, peu de temps après son arrivée au pouvoir.

La conjugaison de l’obligation d’éco-responsabilité dans la commande publique et de l’éco-conditionnalité des aides aurait pourtant un impact immédiat sur les pratiques des entreprises. Elle renforcerait en même temps la compétitivité des firmes européennes, qui sont plus en avance que leurs concurrentes sur la fabrication de produits respectueux de l’environnement. Alors, pourquoi ne pas en faire une double exigence de la société civile lors du Grenelle ? 300 milliards d’euros, c’est presque 500 fois le budget 2006 du ministère de l’écologie et du développement durable…


Annexe 4
Le banquier et l’écolo

par Aurélien Bernier
14 Août 2007

« La raison du plus fort est toujours la meilleure » écrivait Jean de la Fontaine au XVIIème siècle dans sa célèbre fable intitulée « Le Loup et l’agneau ». L’intérêt principal de ce texte enseigné dans toutes les écoles n’est pas la dénonciation de la violence en tant que telle, bien qu’elle y soit évidemment présente, mais la dénonciation de la justification de cette violence lorsque ceux qui l’exercent cherchent à lui donner une sorte de fondement moral.

Les écologistes du XXIème siècle auraient tout intérêt à se souvenir de cette fable. Car une variante moderne de l’histoire pourrait avoir comme titre « Le banquier et l’écolo ». Depuis quelques années en effet, la communauté internationale prétend résoudre la crise écologique par le marché. Il fut un temps où les gouvernements utilisaient (certes insuffisamment) des outils classiques : réglementation, contrôles, taxes sur les pollutions ou les consommations, fiscalité environnementale… Ce qui suppose une forte intervention des pouvoirs publics. En 1995, les États-Unis créent un « marché des permis d’émission » pour les rejets de dioxyde de soufre, le principal polluant responsable des pluies acides. Un système également désigné sous le nom de « marché de quotas négociables », ou encore de « marché de droits à polluer ». Le principe en est relativement simple. Il suffit d’attribuer aux sites émetteurs un certain volume de droits à émettre chaque année le polluant considéré. Les pouvoirs publics déterminent en fait la quantité globale de polluant qui sera autorisée et distribuent des sortes de tickets de rationnement aux entreprises en début de période. Par exemple au premier janvier de l’année. Les firmes mènent leur activité économique, et, en fin de période (par exemple au 31 décembre), elles doivent restituer autant de tickets de rationnement (les quotas) que de tonnes réellement émises. Entre les deux, on crée un marché pour que les détenteurs de droits puissent les échanger librement.

Quel est l’intérêt d’un tel système ? Ses défenseurs lui trouvent deux avantages.

Premièrement, il permettrait de réaliser des économies en limitant l’intervention de l’État et en laissant les industriels aller spontanément vers les investissements les plus rentables. Imaginons deux sites polluants A et B qui ne respectent ni l’un ni l’autre le niveau d’émissions souhaité par les pouvoirs publics. Disons qu’ils dépassent chacun de 1 000 tonnes par an le maximum voulu. Mais, pour des raisons liées à la technique ou à leurs différences d’activité, l’usine A doit débourser 200 000 dollars pour baisser de 2 000 tonnes ses émissions, alors que l’usine B ne réduira que de 1 000 tonnes ses émissions avec le même investissement. Pour l’usine A, la tonne économisée coûte 100 dollars, alors qu’elle coûte 200 dollars pour l’usine B. Considérons aussi qu’une amende de 2 000 dollars est infligée pour chaque tonne de polluant émise au delà du volume de quotas présenté en fin d’exercice. Une amende rédhibitoire, donc. La logique du marché voudrait que l’exploitant de l’usine A réalise ses travaux anti-pollution en investissant ses 200 000 dollars. Non seulement il respecte les exigences, mais il dispose en plus d’un volume de 1 000 tonnes sous forme de permis qu’il peut vendre à l’exploitant de l’usine B. Au moins 100 dollars pièce pour ne pas perdre d’argent. Au plus 200 dollars pièce, car au delà, l’entreprise B aurait intérêt à réaliser ses propres travaux. En clair, l’entreprise A peut faire un bénéfice de, disons, 99 euros maximum par titre, ce que l’on appellera encore pudiquement une « valorisation de ses quotas ». Au final, chacune des entreprises est en conformité avec la contrainte réglementaire qui est uniquement de présenter autant de permis que de tonnes réellement émises.

Le deuxième argument qui est régulièrement avancé par les promoteurs du marché est plus amusant. Le principe des quotas échangeables serait en effet un modèle qui « parle » aux industriels, puisqu’il est calqué sur un autre, déjà couramment utilisé : la bourse. Dans un reportage consacré aux marchés de droits diffusé sur la chaîne de télévision France 3 en mai 20071, un spécialiste explique qu’en choisissant ce système, on s’adresse aux industriels dans leur langage. Comme si ces derniers étaient trop bêtes pour comprendre la réglementation ou la fiscalité, ce qui nécessiterait qu’on se mette à leur niveau ! Le raisonnement a quelque chose d’insultant. Et surtout de fumeux.

La principale raison qui explique l’émergence des marchés de droit est plutôt le renoncement des pouvoirs publics, qui osent de moins en moins imposer de contrainte environnementale en utilisant des voies réglementaires. Par connivence avec les pouvoirs économiques ou par peur réelle des délocalisations. On tente donc de contourner les difficultés en utilisant des mécanismes d’inspiration libérale. Alors que l’économie de marché a totalement échoué sur le plan de la redistribution des richesses, qui nous a pourtant été promise maintes fois et continue de l’être, on nous ressert la même recette à propos de l’environnement. Le plus étonnant reste que des écologistes renommés comme M. Alain Lipietz2 ou Mme Dominique Voynet en arrivent à la cautionner, comme si nous pouvions nous passer d’une reprise en main de l’économie par le politique.

Le Protocole de Kyoto, dont l’objectif est la réduction des émissions mondiales de gaz à effet de serre, se traduit dans les faits par l’ouverture d’un marché du carbone. Les tonnes de CO2 seront allouées aux industriels, s’achèteront et se revendront au comptant ou à terme, de gré à gré ou sur des places organisées, comme de vulgaires barils de pétrole. Le marché sera international à partir de 2008. Depuis 2005, le « système européen d’allocation des quotas » fonctionne en phase de test grandeur nature.

Le problème est que nous ne vivons par dans le monde des Bisounours, ces gentilles peluches de dessins animés, mais dans un monde réel où les décisions politiques sont le produit de nombreux rapports de forces. Et où la raison du plus fort, comme au XVIIème siècle, est encore la meilleure. Créer un marché de quotas revient à créer un nouveau marché spéculatif sur lequel se jetteront rapidement les acteurs de la finance, non pas touchés par l’illumination du développement durable, mais bel et bien attirés par des profits potentiels. Et même si nous en sommes encore aux prémices, la spéculation sur le CO2 constitue d’ores et déjà une réalité. Le groupe chimique Rhodia a été l’un des premiers à profiter de l’aubaine courant 2005. En investissant 14 millions d’euros en travaux de dépollution sur deux usines situées en Corée et au Brésil, il a mis de côté 77 millions de quotas de CO2 valorisables à hauteur de 200 millions d’euros par an, ce qui a eu pour effet de tripler le cours de ses actions en quelques mois. Les compagnies d’assurance, les banques d’affaires, les fonds d’investissement sont parés pour s’engouffrer dans la finance carbone. La Banque Mondiale, bien connue pour ses échecs monumentaux en matière d’aide au développement, gère actuellement plus de 2,2 milliards de dollars d’actifs dédiés aux économies ou aux évitements de gaz à effet de serre. Soit environ trente-sept fois le budget annuel du Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) ! Ce qui n’empêchait pas la tonne de CO2 de se négocier en moyenne 12 centimes d’euros au comptant au mois de juillet 2007, à cause d’une sur-allocation de quotas par des gouvernements européens un peu trop sensibles au lobbying des industriels.

Alors, que penser du système de droits échangeables ? Tout compte fait, un peu la même chose que des Organismes Génétiquement Modifiés (OGM) qui, eux, occupent le devant de l’actualité depuis que les écologistes se sont emparés de la question. Dans un raisonnement hors sol et purement théorique, les OGM ne sont que des outils, qui peuvent être mis au service de la compréhension du vivant et dont l’utilisation peut être encadrée par des règles très strictes. Dans le monde réel, ils sont synonymes de brevetage, ils se développent sans aucune évaluation sérieuse et se retrouvent être de puissants outils au service de la finance.
De la même manière, un marché de droits est un simple instrument économique. Strictement encadré et contrôlé, il pourrait éventuellement constituer une partie de solution aux problèmes d’environnement. Mais immergé dans l’ultra-libéralisme ambiant, il devient extrêmement dangereux car porteur d’attaques spéculatives, de recherche de profits faciles, voire de crises graves. Et il permet aux acteurs de la finance, comme dans la fable de La Fontaine, de donner une apparence « morale » à leurs boursicotages.

Enfin, le marché du carbone n’est pas seulement risqué. Il est aussi inefficace. Les émissions des entreprises qui font partie du système européen d’allocation de quotas continuent d’augmenter. Elles progressent de 0,8% entre 2005 et 2006, soit une hausse de 16,4 millions de tonnes3. Les analystes expliquent que tout ira mieux plus tard, lorsque le marché s’élargira et deviendra plus liquide. Rengaine connue : le marché fonctionne mal car il n’y a pas assez de marché…
Mais la vérité est toute autre. La finance carbone mise en place avec le Protocole de Kyoto est une solution taillée sur mesure pour les industriels et les investisseurs. Elle leur permettra au mieux d’engranger des profits, au pire de gagner du temps sur l’application de vraies contraintes environnementales qui finira tôt ou tard par devenir inévitable.
Michèle Pappalordo, présidente de l’Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie (ADEME), déclarait au printemps 2004 : « Je considère le Protocole de Kyoto quasiment comme un miracle »4. Un miracle libéral, sans aucun doute.

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